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CRÉATION

ENTRE TERRES

​​(Extraits du film d’Elisabeth Leuvrey, La Traversée – 2012) 

 

Une production Passeurs de mémoires 

CO-PRODUCTION EN COURS 

 

Texte : Ben 

Version scénique et mise en scène : Dominique Lurcel 

Jeu : Lounès Tazaïrt 

Musicien bruitiste : Marc Lauras 

Lumière : Guislaine Rigollet 

Durée : 1 heure 30

 

TÉLÉCHARGEZ LE DOSSIER

Où t’en vas-ti ?

Jé né sais pâs

D’où viens-ti ?

Jé né sais pâs non plis !

Où t’es-ti donc, là-bas ou ici ?

Entré les deux, entré les deux je souis.

Alors, qui t’es-ti ?

Jé né sais pâs, jé né sais pâs, jé né sais plis !

 

Jean Tardieu (Formeries. 1976)

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A l’origine, le film La Traversée (2012) est un documentaire d’Elisabeth Leuvrey. La cinéaste a effectué à

vingt reprises le trajet que fait, chaque été, le ferry L’ile de beauté reliant Marseille à Alger –et retour-

,avec, à son bord, toutes celles et tous ceux qui, seuls ou en famille, reviennent au pays pour quelques

semaines de vacances, ou le quittent pour retourner travailler en France. Le temps de ces vingt traver-

sées, dans ce huis-clos à ciel ouvert, cet espace de temps suspendu, ce moment du passage, elle a posé

son regard sur ces gens entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux identités.

 

 

L’adaptation

Le film d’Elisabeth Leuvrey est construit sur le mode impressionniste, entre choses vues, regards captés,

bribes de dialogues presque « volés » au passage, et respirations visuelles, images et sons du temps qui

s’écoule lentement, sur ce bateau où tout respire la latence. L’adaptation ne saurait tendre vers une

quelconque restitution de ce foisonnement fragile et fugace. En revanche, au cœur même du documen-

taire, une parole émerge, distincte des autres par sa longueur, la richesse de son contenu et l’émotion

qu’elle dégage : celle de Ben, rencontré par la cinéaste lors de sa toute dernière traversée. Une parole

dont Elisabeth Leuvrey a fait, au montage, le pivot de son film. Une parole légère et douloureuse, iro-

nique, sans la moindre autocomplaisance, sans pathos ni dramatisation, mais à travers laquelle affleurent

sans cesse le désarroi infini du déraciné, et les questionnements sans réponse, les angoisses identitaires

et existentielles qui le taraudent. « La situation est désespérée, mais elle n’est pas grave », semble dire,

en filigrane, l’homme à la sensibilité exacerbée qui parle ici.

La nuit est tombée ; le bar du ferry est désert; l’Ile de beauté semble s’être immobilisé : Ben se confie à

Elisabeth Leuvey, dans cet espace/temps privilégié, ce lieu du passage arrêté, nocturne, lieu et moment

de la libération de la parole : dévoilement sans fard, sans masque, de son moi le plus intime, qu’on livre à

un inconnu rencontré entre deux mondes, et qu’on pense ne plus jamais croiser ultérieurement – l’ « in-

connu » pouvant aujourd’hui prendre la forme de millions de téléspectateurs anonymes, ou de quelques

centaines de spectateurs…

L’histoire de Ben est unique, jalonnée d’événements qui n’appartiennent qu’à elle. Mais au-delà de ses

spécificités, elle atteint l’universel, parce que, sans la moindre lourdeur, elle porte avec elle l’image de

l’homme écartelé, confronté à une déchirure qu’aucun baume ne peut soulager, celle de l’homme

flottant, en perpétuel questionnement – le « sans lieu, déplacé, inclassable » dont parle Pierre Bourdieu,

dans sa préface à La Double absence, d’Abdelmalek Sayad- mais aussi celle d’une quête de dignité, et

l’affirmation d’un destin autonome, de la construction d’une liberté intérieure, d’un dépassement.

Les mots de Ben -ceux que le film a gardés, mais aussi tous ceux que les rushes ont conservés- seront

donc le corps du spectacle. Avec deux objectifs : évidemment faire entendre, au plus près, la sensibilité

extrême du témoignage, ses interrogations, sa complexité. Mais aussi rendre sensible l’étrangeté du mo-

ment et du lieu, le no man’s land qui permet à cette parole de s’épanouir. Sans recourir à la vidéo –mieux

vaudrait, dans ce cas, projeter les images mêmes du film d’Elisabeth Leuvrey… Ce sera affaire de respira-

tion, de rythme dans le travail de direction d’acteur. Ce sera aussi, surtout peut-être, le rôle du paysage

sonore, rôle confié ici au violoncelliste Marc Lauras.

Avec la volonté de travailler au plus près de l’intime, au plus près du spectateur. Et au plus près de l’uni-

versel.

DL. 20 décembre 2022

     L’EQUIPE

               

                  Lounès Tazaïrt, jeu

Depuis 2011, Lounès Tazaïrt est un des comédiens/piliers des deux derniers spectacles de

Nasser Djemaï, Les Invisibles et Vertiges (MC2 de Grenoble et tournées nationales). Il

joue actuellement dans Antoine et Cléopâtre, sous la direction de Célie Pauthe.

Auparavant, au cours de plus de quarante ans de carrière, il a joué Musset, Tchékhov,

Horvath, Ionesco, Durif, Wesker, Shakespeare, JP Bisson…sous la direction, entre autres,

de Claude Confortès, Gabriel Garran, Guy Rétoré, Philippe Adrien, Patrick Pineau, Régis Santon, Jean

Maisonnave, Laurent Bénichou, Christian Peythieu…(Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Théâtre de

la Tempête, MC de Reims, Chambéry, Grenoble, Bobigny, Théâtre de l’Est Parisien…), et très récem-

ment, Célie Pauthe, Louise Vignaud…

Parallèlement, on le voit souvent à la télévision (il a tourné, entre autres, avec Nina Companeez, Denys

de la Patellière,Jean-Daniel Simon…) et au cinéma –sous la direction, par exemple, de FE Siri, Jacques

Bral, Roschdy Zem, Alain Corneau, Christophe Ruggia…

En 2014 et 2015, il a obtenu successivement le Prix d’interprétation au Festival international de Tanger,

puis au Festival des Cinéastes, à Paris, pour son rôle dans le film Qanis, de Réda Mustafa.

    Marc LAURAS, musicien bruitiste

    Depuis 1981, Marc Lauras mène sa barque de compositeur, violoncelliste, comé-

dien, électroacousticien, improvisateur.

Il s’est formé à l’université de Pau, au CNSM de Paris (Prix de composition élec-

troacoustique) et en autodidacte. Depuis ses débuts, son travail se nourrit de ses innombrables ren-

contres avec metteurs en scène, chorégraphes, musiciens, plasticiens, écrivains et conteurs, dans les

théâtres et les salles de concert, dans la rue et dans les appartements, les laveries automatiques, sor-

tant d’un mur de flammes à dix mètres de hauteur, sur une barge entourée de feu au milieu d’un lac,

dans un igloo alpin, et d’autres lieux improbables…

Il a écrit 120 musiques pour le théâtre, la danse, ou le concert. Il a joué 1400 représentations, en

France et dans plus de trente pays autour du monde.

Depuis trois ans il joue, seul en scène ( violoncelle et jeu), ‘’Prose du Transsibérien’’ de Blaise Cendrars,

mis en scène par Olivier Borle, (festival d’Avignon 2019 à la Maison de la Poésie, et en tournée en

France depuis). Il a créé en 2017 un spectacle musical sans frontières avec Robbas Biassi Biassi

’’LabAouLa, musiques remuantes et bariolées’’, (Théâtre de Givors, Le Volcan du Havre, ateliers de

création musicale en milieu scolaire). Mis en scène par Dominique Lurcel, il accompagne depuis 2011 le

comédien Samuel Churin dans “Le contraire de l’amour” d’après Le Journal de Mouloud Feraoun

(Avignon 2011 et 2015, Théâtre de l'Odéon, Maison des Métallos à Paris, tournées en Algérie et en

France, théâtre des Célestins, Lyon, 2023…plus de 120 représentations).

Il vient de créer deux spectacles avec la Compagnie Divine Emilie, dirigée par Katell Grabowska :

‘’Colette journaliste’’, un montage d’articles de journaux écrits par Colette, qui fut une grande journa-

liste, et ‘’1925, Cécilia et l’astrophysique’’, qui raconte la vie et les découvertes de l’astronome Cécilia

Payne-Gaposchkin.

 

Annexe : Entre terres/ Quelques pages 

« C’est pas banal de partir comme ça de Marseille pour aller en Algérie… Et partir de Marseille, c’est comme partir de n’importe quel endroit…Le truc, c’est « de partir ». Là, il se trouve que moi, je reviens en Algérie et j’ai la sensation de recoudre un cordon ombilical…Mais doublement : j’ai quitté l’Algérie très jeune et j’ai quitté ma mère. C’est pas ma mère qui m’a élevé et j’ai vécu en France. 

……………………………………………………………………………………………………………… 

C’est peut-être la chose la plus difficile à dire.. c’est que je suis davantage rattaché à mon père qu’à ma mère…et je crois qu’on appartient à un pays par sa mère, et ma mère ne m’a pas élevé… Et du coup, si l’amour maternel ne tient pas la route, à quoi tu veux croire ? L’amour de la terre ? J’ai pas tété l’Algérie. Et en fait, l’Algérie, c’est comme une vieille tante malade que tu vas visiter, mais tu passes le week-end, et le dimanche soir, tu te barres parce que tu te suicides si tu restes…Tu sais, c’est…ça fait un petit peu ça…Mais quand tu retournes chez toi, dans ton petit studio de Neuilly ou de je sais plus où, tu as honte d’avoir quitté précipitamment ta tante…c’est un petit peu ça, ce truc…et donc tu programmes très très vite le week-end d’après, quoi…Et donc, c’est une indécision permanente… 

…………………………………………………………………. 

Et chaque fois que je suis dans un entre-deux, entre deux ports, dans un no man’s land –là, il s’avère que c’est la Méditerranée- il y a tout un chamboulement qui se produit. Et à un moment donné, je me re-trouve –comme ici sur ce bateau- en perdition complète. 

………………………………………………………………………….. 

A quoi je tiens le plus ? Est-ce que je tiens le plus aux Pyrénées, au pied desquelles j’habite, ou aux mon-tagnes du Djurdjura, qui sont pour moi de l’ordre du fantasme ? Ce qui me rassure peut-être, c’est ce que je connais le mieux, c’est donc probablement les Pyrénées. Du coup, est-ce que je suis pas en porte-à-faux ? D’où je parle quand je parle de mon attachement ? Et…comment se fait-il que…je vais le dire un peu bizarrement : pourquoi je suis souvent déçu de mes retours en Algérie…? La déception…c’est peut-être parce que j’en attends beaucoup. Parce que, quand j’étais enfant à Toulouse, on rêvait d’un retour… 

Alors après, l’idée, c’est que, quand on n’est pas d’un endroit, définitivement, la seule chose qui existe, c’est l’idée d’aller-retour. 

C’est l’idée d’un ratage. On voyage parce qu’on rate les choses. Moi, des fois, quand j’étais à Blagnac ou à Toulouse, j’enviais les jeunes filles et les jeunes gens à l’université qui venaient des départements autour de Toulouse. Parce qu’ils étaient du Lot, ou de…ils étaient territorialement, géographiquement et histori-quement déterminés. Ils appartenaient à telle ville, ils appartenaient à telle terre, et tout. C’est l’idée de l’appartenance, et cette idée renvoie à l’idée de l’identité. Et quand on n’a pas d’identité…Est-ce que ça existe, quelque chose qui ne serait ni l’un ni l’autre, est-ce que ça existe ? Je ne sais pas. 

……………………………………………………………………………….. 

Et peut-être que, pour être libre, il faut n’appartenir à rien, et c’est pour ça que, peut-être, l’idée d’être au milieu de la mer, là, entre deux rives, c’est que, pour l’instant, on est ni là, ni là, et peut-être que c’est le seul endroit où l’on est probablement le plus libre ; 

Parce qu’on n’est pas face à la réalité. L’entre-deux, c’est pas en face de la réalité. T’es pas soumis à un choix ! C’est comme entre chien et loup. C’est ni le jour, ni la nuit. On est dans un entre-deux. L’instant d’après, qu’est-ce que ça va être ? Je sais pas. Je sais pas.. Pour l’instant, on ne débarque pas. Donc on n’est pas dans une réalité tangible. On n’est pas dans du concret. Il n’y a pas de bagages à défaire. Il n’y a pas de papiers à montrer. On n’est confronté à rien de réel. 

On peut dire, même, qu’on est dans de la poésie, on est dans de l’imaginaire, on est en train de s’inven-ter un monde, entre deux mondes, peut-être que c’est ça, l’idéal. 

………………………………………………………………………………………………………………………………….. ; 

…C’est imminent, c’est imminent. Ça arrive… C’est une frontière qui n’en finit pas de s’étirer. Et ça laisse un peu le temps de préparer l’arrivée. Ça apaise un petit peu… Pour l’instant, il n’y a pas d’enjeu. C’est pas violent. L’émotion est un petit peu plus contenue. Il y a une tranquillité. A l’image de la mer…Et il y a le bateau qui a fait son travail de bercer, donc c’est comme…un léger vertige. 

J’ai peur, parce que c’est comme un rendez-vous, et je ne sais pas combien il y a de kilomètres entre les deux rives…Le rendez-vous est différé. C’est comme si vous aviez rendez-vous avec un amour mais que le rendez-vous n’était pas tout à fait immédiat. C’est pas dans l’heure qui arrive. Y a une journée à pas-ser, une journée à patienter. Et donc ça laisse aussi le temps à la pensée…C’est comme un élastique qu’on tire. 

…………………………………………………………………… 

On s’approche, hein….trois heures, à peu près…Je sais pas comment ça va se passer tout à l’heure mais il va y avoir comme…comme une effervescence, comme un cachet d’aspirine dans l’eau : « Pfffff… ! » 

J’ai la chair de poule quand je vous dis ça, parce que, juste avant d’entrer dans le port, ou juste avant l’idée de le faire, y a toutes ces choses-là qui se mélangent, et je suis sûr qu’il y a plus d’irrationnel, bien entendu, parce que, si c’était que de l’ordre du raisonnable : « Mais non, Ben, ne t’inquiète pas, c’est quelque chose d’extrêmement banal, tu ne fais que rentrer chez toi, t’amènes trois ou quatre sous, t’amènes des objets ou des choses comme ça… ». Mais non, il se passe autre chose. Et cette autre chose, je sais pas ce que c’est…Je sais pas ce que c’est. En j’en ai un petit peu peur. 

C’est comme si il était imaginable qu’à un moment donné, je puisse faire un choix définitif…Je crois que je suis condamné à l’entre-deux. Par exemple, je m’interroge parfois sur l’endroit où je vais mourir. Et je me pose la question des deux…duquel côté je vais être enterré. J’ai parlé avec une vieille tante à moi, et elle me dit : « Toute terre est bonne à ensevelir », à couvrir le corps. Et en même temps, je me pose la question…J’aurais aimé, par exemple, être spécifiquement d’un petit village des Pyrénées…et savoir que je vais être enterré là. J’ai peur d’être enterré en Algérie. Savez-vous pourquoi ? Parce que…j’ai pas l’im-pression d’être propre sur moi. Propre sur moi, assez propre. Dans l’acception des Anciens. Les Arabes diraient n’dif, propre. J’ai peur des Anciens. Si jamais on me met quelque part entre mon oncle, mon père, mes grands-parents, des trucs comme ça et tout, j’ai peur qu’ils passent leur mort à m’emmerder. A me reprocher de ne pas avoir vécu correctement. 

Est-ce que ça existe, quelque chose qui ne serait ni l’un ni l’autre ? Est-ce que ça existe ? Je sais pas. Pour l’instant, on ne débarque pas. L’idéal serait peut-être d’arriver à faire de deux mondes un troisième monde ? 

Y a comme une indifférence. Les flots, eux, ne changent pas. Ils sont indifférents au destin des gens. La Méditerranée, elle en a vu des gens passer et elle est restée pareille, elle. L’histoire humaine est en sur-face. Elle ne fait que passer. On trace et ça s’efface tout de suite après. 

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On dirait un sas. Voilà, on passe un petit moment, là, et on fait un peu le bilan, quoi. D’où on vient…Vers où on va…Et il y a cet instant. On est entre deux…c’est le sas. C’est nickel. C’est pur. Différent. Eternel presque. Immatériel. C’est ça, immatériel. J’ai conscience d’un lieu de passage. On passe, voilà. 

Tout à l’heure, il va y avoir la vraie frontière ! C’est encore permis d’être tranquille. L’agitation, c’est pour après. On dirait que, pour l’instant, il n’y a pas d’affaires humaines. On s’en occupe après. Et il va falloir être efficace. Au retour, o ! Je serai plus léger. Je serai plus léger par ce que je reviens…Le voyage inverse, je le connais très bien. Je retourne vers des habitudes, vers une vie normale, me semble-t-il… « Une vie normale »…Disant « une vie normale », ça laisserait supposer que chez moi, c’est là-bas, que c’est en France. Est-ce que ça veut dire que j’ouvre une parenthèse de quelques jours en Algérie ? Voilà, c’est plu-tôt ça, j’ouvre une parenthèse. » 

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